Chaque Terroir est absolument unique, il le doit à sa roche souterraine (particularités pédologiques), à sa peau superficielle (particularités géologiques), à sa circulation d'air, à son soleil particulier (exposition, altitude, climat…) mais son centre névralgique, son cœur palpitant passe par l'homme qui l'habite et le révèle au monde. Au point de ne pas toujours savoir distinguer la part de l'un et de l'autre et de parfois les confondre.
Le Terroir est un microcosme relié au macrocosme dont le foyer irradiant est l'Homme. Sans lui, le paysage s'obscurcit, la prairie, la vigne, le verger… se referme et redevient friche, broussaille, forêt... (Ex: Jusqu’au XIIe siècle, les pentes calcaires de la Côte d’Or ne produisaient que de l’herbe folle).
“Bon sol ne ment pas”
Les sols n’expliquent pas tout et gardent encore quelques mystères. L’exposition, l’âge de la vigne, son alimentation en eau et le savoir-faire caractérisent aussi «l’effet terroir». Une notion au centre de bien des polémiques, qui laisse perplexes les scientifiques. La géologie peut-elle tout expliquer ? Où se trouve « la vérité » ?
Les réponses sont loin d’être simples. La polémique fait rage. Les preuves scientifiques sont rares et les intérêts économiques puissants.
Qu’est-ce que le terroir ?
Impossible de donner une définition simple tant ce que recouvre cette notion est sujet à polémique. Toutefois, il est possible d’affirmer que le terroir est le résultat d’une association de très nombreux facteurs reposant essentiellement sur le mariage subtil entre sol et sous-sol/climat et température/conditions d’alimentation en eau. Il faut ajouter à cela qu’un vin est le résultat d’une alchimie mettant également en relation l’âge de la vigne, sa taille ainsi que la composition géochimique du sol (l’une des notions les plus contestées) sans oublier le rôle essentiel des micro-organismes.
«L’effet terroir » est-il une réalité?
Pour tenter d’expliquer l’effet terroir, l’équipe de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) d’Angers a lancé depuis vingt ans plusieurs études s’appuyant sur les appellations bourgueil, saumur-champigny, chinon. Ce choix s’explique par une raison simple : toutes se trouvent sur un même substrat géologique (craie tuffeau).
Christian Asselin et René Morlat ont sélectionné dans un rayon de 20 kilomètres, après carottage, une vingtaine de parcelles bénéficiant d’un même type de macroclimat (océanique avec des influences continentales). Ils y ont planté en 1979 le même type de cépage rouge (cabernet franc), avec les mêmes porte-greffes et une même densité de plantation. Après quelques années de patience, les premières vendanges ont eu lieu. Bien évidemment, les techniques de culture et de vinification ont été strictement identiques. Résultat : les vins obtenus sont très différents. Une preuve que l’effet terroir est une réalité mesurable, au moins en partie sur le plan chimique. Suivant les parcelles, les taux de sucre du raisin comme la teneur en anthocyanes*, qui donnent la couleur et jouent sur la saveur d’un vin, varient du simple au double.
Pourquoi la qualité dépend-elle tant de l’eau ?
La perméabilité des sols, l’infiltration plus ou moins rapide, la nature de la roche seraient parmi les facteurs majeurs de l’effet terroir. Explications.
Une eau trop abondante entraîne une augmentation de la photosynthèse. La biomasse se développe alors aux dépens des baies. La plante perd son énergie à faire des feuilles. De plus, les rayons du soleil ne passent plus. Le taux d’humidité sous les feuilles augmente, ce qui favorise le développement des maladies. Ultime effet pervers d’un excès d’eau en période de maturation, les baies se gonflent d’eau. Ce phénomène de « dilution » a des conséquences catastrophiques. Le manque d’eau, lui, provoque un « stress hydrique » plus ou moins sévère. Pour survivre, la vigne va limiter ses pertes en eau par évapo-transpiration. Elle ferme les stomates* de ses feuilles qui assurent notamment les échanges gazeux entre la plante et l’atmosphère. Conséquence néfaste pour la future qualité du vin, l’absorption du CO2 indispensable à la production des sucres va être interrompue. Pas de CO2, pas de sucres, donc pas d’alcool après fermentation. La production des phénols et des polyphénols, qui interviennent très directement dans les composantes de la saveur et dans la couleur du vin, sera perturbée.
En toute hypothèse, la structure du sous-sol a un rôle déterminant dans l’équilibre et la régulation hydrique de la plante. Les meilleures vignes ont souvent plus de vingt ans : les porte-greffes ont parfois développé leurs racines à plus de 15 mètres de profondeur. Si les sous-sols réputés sont très variables du point de vue géologique, tous ont en commun la capacité à retenir l’eau par microporosité et d’offrir ainsi un taux d’humidité relativement constant. Pour les racines, la possibilité de coloniser le sous-sol et un drainage naturel et équilibré en période sèche sont toujours un gage de qualité du vin.
La précocité d’une vigne est-elle un gage de qualité?
Selon l’Inra d’Angers, la précocité d’une vigne est un élément important de l’effet terroir. Elle se mesure sur le végétal du débourrement* à la vendange. Cette précocité n’a pas pour facteur déterminant le climat, mais plutôt le pédoclimat thermique (variation de chaleur du sol/ sous-sol). Ces variations sont étroitement liées à la rétention d’eau. En effet, on sait que l’eau se réchauffe et se refroidit plus vite que la terre. Ainsi, les écarts thermiques dans une terre gorgée d’eau sont très élevés. Les plantes y sont très sensibles. La relation entre la température près des racines et la qualité d’un vin a été démontrée.
En un mot, plus les racines s’enfoncent dans un sol dont la chaleur - élevée - ne varie pas, plus la vigne sera précoce et meilleur sera le vin. C’est donc l’équilibre entre la présence d’eau, nécessaire à la vie de la plante, et sa faible quantité, garante d’une température plus constante, qui va assurer la qualité du raisin et, par conséquent, celle du vin. Cet équilibre est toujours la signature des grands crus.
Quel est le rôle joué par les oligo-éléments du sol ?
Pour les spécialistes de l’Inra, les facteurs physiques jouent un rôle prioritaire dans « l’effet terroir ». Et sans nier les « plus » que peuvent apporter certains éléments chimiques du sol comme les oligo-éléments (manganèse, cobalt, molybdène, fer, cuivre, nickel, etc.), leur rôle dans la typicité d’un vin ne serait que secondaire. Pour d’autres, la part de ces substances dans l’effet terroir serait primordiale.
Quelques précisions sur la notion de terroir comme interface culturelle; on est bien loin de la seule géologie...
Les limites d'un lien au terroir uniquement physique
Un lien qui se fondrait uniquement sur le terroir physique, pédo-climatique a de toute façon ses limites, parce qu'il n'est pas le seul à intervenir dans le devenir d'un produit. Si un terroir a un potentiel agronomique particulier, faut-il encore qu'il soit exprimé, révélé par des techniques précises de production. Ces pratiques techniques, ces modes d'élaboration imaginés par des hommes au fil du temps vont influencer la production et intervenir à des degrés divers dans les caractéristiques finales du produit. Leur importance dépend des situations et des types de produit.
Si l'on reprend l'exemple de la culture des fruits et légumes où "l'effet terroir" paraît le plus évident, on constate que ces cultures sont aussi le résultat de pratiques humaines, de savoir-faire. Ces techniques peuvent répondre à des contraintes physiques, environnementales (culture en terrasse sur des terrains en pente), ou être la conséquence d'habitudes, d'usages locaux, de goûts.
On conteste ainsi le poids des facteurs pédologiques dans les terroirs viticoles en faisant remarquer que la qualité des vins est l'expression d'un milieu social et de ce qu'il appelle le "vouloir humain". Aussi, le rôle du terrain dans l'élaboration d'un grand cru ne va-t-il au-delà de celui de la matière dans l'élaboration d'une oeuvre d'art.
Une typicité liée au terroir
La notion de typicité est ambiguë et multiple. Elle dérive de l'adjectif typique dont la définition n'est pas plus claire et sans équivoque. Elle renvoie aussi à la question de la différence entre typique et spécifique.
Voici une définition qui a le mérite de correspondre au sens commun que l'on pourrait s'en faire lorsque l'on parle d'un met ou d'un produit typique. En effet, cette notion renvoie intuitivement à une recette ou à un aliment spécifique à un lieu, à une région, à un pays.
Les caractéristiques d'un produit sont typiques, et non pas seulement spécifiques, si elles sont tributaires d'un lieu, si elles ont un lien au terroir, si elles résultent de conditions de production localisées. La typicité est un héritage, elle a une origine géographique et historique, elle est ancrée dans un milieu. On parle ainsi de productions qui croisent le temps et l'espace.
Il faut être attentif au fait que les caractéristiques typiques du produit ne sont pas forcément des qualités sensorielles (goût, texture). Ce sont aussi des attributs distinctifs tels que la forme, le poids, le mode d'élaboration, l'image, la réputation, la dénomination d'un produit.
Une relation dynamique
Le lien au terroir, c'est une relation entre les caractéristiques du produit et un milieu géographique dans ses dimensions à la fois physiques et humaines. La qualité du produit, son aspect, son goût, sa texture, sa production, ses aspects symboliques et culturels doivent se révéler tributaires d'un espace particulier à définir.
Montrer un lien au terroir revient à expliquer les caractéristiques typiques d'un produit en fonction de divers raisons relevant d'une zone géographique déterminée. Ces raisons, qui peuvent se croiser et se compléter, peuvent être historiques, culturelles, humaines, techniques et environnementales.
Cette explication montre bien qu'il ne faut pas nécessairement chercher un lien au terroir qui soit un lien agronomique et physique à un support pédo-climatique. Il ne faut pas vouloir à tout prix démontrer un "effet terroir". Ce ne sont pas seulement, ou pas forcément, des liens physiques, bactériologiques que le produit doit avoir avec son aire de production. Il doit avoir une histoire qui s'est construite et qui a pris place dans un espace donné. Le lien peut donc être, physique, socio-économique, historique ou culturel.
Un lien à raisonner de cas en cas. On comprend ainsi qu'il n'y a pas un type de lien au terroir, mais de multiples modes d'ancrage d'un produit dans sa région. Il faut aussi se rappeler qu'un produit n'est jamais figé, mais qu'il évolue. Ses caractéristiques changent et avec elles le lien au terroir. Le lien au terroir est non seulement multiforme, mais il est aussi mouvant.
Le débat reste ouvert. Le XXIe siècle apportera peut-être ses lumières. Mais il est vrai que la patience est une vertu cardinale des oenophiles.